Notre
rencontre s’est faite tout ce qu’il y a le plus simplement du
monde. Il suffisait de passer devant l’étale bricolée par les récupérations successives pour que nos regards se croisent. Je me souviens
de la première poignée de main avec Daniela, petite fille de 12 ans sur le chemin qui conduit au collège. Ferme et douce à la
fois. Drôle de sensation éprouvée alors. C’est une salutation qui
décrit quelqu’un de volontaire autant que consciente des limites de sa place dans la société.
Etre une jeune
fille « vraiment noire » (mainty be) dont les parents
(où est le père ?) ne peuvent pas payer les frais de scolarité
même modiques des écoles d’Etat est un déterminisme parce que la discrimination existe entre les malagasy eux-mêmes (le plus clair est plus important que le noir) et je me demande des fois si elle n'est pas plus sournoise que la plus visible réaction face au vazaha (l'étranger blanc). Elle sait qu’en me voyant en
s’approchant de moi qui vient des pays riches (matériellement), elle aura
peut-être sa chance de récolter de quoi brièvement soulager sa journée de labeur par l'achat d'un surplus de riz ou de brèdes. Au moins un bonbon contre l'amertume.
Son regard est intense et sous ses
yeux je peux voir, déjà, les cernes de celles qui se lèvent (trop)
tôt pour faire la ménagère. Chaque jour elle passe deux fois
devant notre maison pour aller au "bazard" se procurer de quoi subsister jusqu'à la journée prochaine: quelques feuilles et des patates douces et peut-être une ou deux mesures de
riz (les cabas locaux ont cet avantage d’avoir la même apparence
plein et vide et on ne peut deviner sauf en penchant la tête ce
qu’il y a au fond). L’autre jour, je l’ai vu de dos piller le
café qu’elle sert aux passants pour 200 AR la tasse. Son petit
corps est déjà solide et elle pourrait faire penser qu’elle est
plus âgée que du haut de ses douze ans.
Lorsque on se salue, le sourire est de mise quand ce n'est pas la grimace selon l’humeur du moment. Mais quelle grimace ! celle de l'envie ou de la colère ? Il m’est
arrivé une fois de l’aider à aller chercher de l’eau au puits.
Les enfants tirent des brouettes avec de lourdes charges sans que cela ne surprenne personne. A 12 ans, on est déjà
plus qu’autonome. Et il vaut mieux en fait, au risque d'être encore plus dépendant que la situation ne l'inflige déjà. Une autre petite de 8 ans avec qui j’avais
passé des vacances lavait elle-même son linge dans trou creusé
dans le sable de la Linta, fleuve local asséché à la saison froide.
Avec Daniela, je vois la
jeunesse d’une île ou d’une partie de celle-ci (Le Sud) déjà sans
perspective. Comment va grandir Daniela ? Où en sera-t-elle
dans 10 ans ? L’école publique lui aura-t-elle permise de
changer de situation sociale ? Est-ce ce qu’elle veut ?
Les petites filles et adolescentes d’ici veulent souvent devenir sage-femme ou bien exercer
un métier caritatif. Daniela est une fille très intelligente mais
sa famille n’a pas assez d’argent pour rejoindre une école
catholique parce que les frais sont trop élevés et que les parrainages sont insuffisants. Malgré les
efforts des religieuses surtout et des religieux, nombreux sont ceux
comme Daniela qui souffrent d’être, alors
que la vie commence sans chemin d'école. Je vous demanderez bien
de l’argent pour Daniela non seulement pour elle mais pour sa
famille. Mais voilà, l’argent ne résoudra point l’affaire. Le
fond du problème est que l’éducation battit sur le système français, ne propose
pas d’autres alternatives que des études théoriques à
l’université.
Enfin je sens bien que je ne regarderai jamais plus les enfants comme
avant : Le regard de Daniella restera pour moi une vérité qui
dérange. J’espère qu’à l’instar de l’Abbé Pierre ou de
Mère Thérésa il sera un point de départ qui m’empêche de
dormir tranquille pour que la charité soit dans mes mains, sur mes
doigts qu’elle sue sur mon front, sans répit puisque, elle, Daniela, n’a
ni repos ni repas.