Le chiffre de l’année
Avant
de m’exprimer sur « qu’est-ce que ça fait d’avoir trente ans ? »,
je voudrais souligner le contexte qui joue toujours le rôle d’indicateur voire
de signe pour ce genre de chiffre rond. Dans la Bible, aucun chiffre n’est
livré au hasard et chaque nombre désigne un mot en hébreu. Je suis curieux de
savoir ce qui se cache derrière le chiffre 30. Les années nous le diront... Ce
qu’il m’évoque spontanément c’est d’abord l’histoire qui me relie à la terre :
J’ai passé 14 ans dans le Gard (30) à partir du CE1 et je revois la maison où
nous avons grandis. Il me revient des tas
de choses : le jardin et sa haie à tailler, la cage aux poules, le
champ de chevaux qui se dévoilait lorsque j’ouvrais les volets de ma chambre,
les hivers secs, les étés brûlants, le visage de mes camarades de classes, la
piscine du voisin, mon premier professeur qui organisait des excursions
pédagogiques dans la forêt pour découvrir les champignons... Tout une empreinte
bucolique et rurale pleine de lumière et de Mistral dont j’ai du mal à me
défaire dans mes successifs déménagements. Même si je suis né dans le béton
montpelliérain, j’ai grandi au contact de la garrigue, des cigales, de la
canicule et des pinèdes. Aujourd’hui, la canicule quotidienne me rattrape mais
rien n’évoque le Midi par rapport à ce nouveau sud malagasy. Seule la chaleur,
le vent et la végétation aride m’évoque ce passé candide.
Tous les peuples
Ce
que je retiens surtout de mon passé, avant même la charmante sonorité de mon
accent du midi perdu en cours de route, c’est l’amour que j’ai reçu des miens
et qui m’a aidé à pousser au-delà des terres de vignes et des rivages salés de
la Mer Méditerranée. J’ai eu la joie pendant trois ans de rejoindre une autre
partie de mon héritage culturel en me rapprochant de l’Allemagne par ces trois
ans à Strasbourg. Entre le Midi Libre et les Dernières Nouvelles d’Alsace, les
événements se sont succédés et m’ont conduits jusqu’à Madagascar. À peine l’année
2020 commencée nous voilà tous au milieu d’une terrible pandémie
(étymologiquement tous les peuples). Jamais un anniversaire n’aura été aussi
universel ! Je n’oublierai pas de si vite la trentième...
L’aventure vertébrale
Ainsi
suis-je devenu un brin plus attentif aux injustices humaines et écologiques qui
m’entourent. Depuis Ejeda, j’observe un peuple livré à sa débrouillardise (et
heureusement les malagasy ont de la ressource), et cible vulnérable des
changements climatiques tels que les cyclones dans le Nord et la sécheresse
croissante dans le Sud. A cela s’ajoute le poids d’une mondialisation qui,
certes, ouvre le pays au monde mais élargit aussi les inégalités et écartèle le
pays entre ses traditions rurales séculaires et les habitudes citadines
contemporaines importés. Ma règle de vie religieuse assomptionniste me donne
alors le sens de cette nouvelle aventure : être
là où l’homme est menacé comme image de Dieu et où ce dernier est menacé en l’homme.
être, faire, vivre
Etre là,
c’est quelque chose que je ne savais pas faire
il y a six mois. Pas plus il y a trente ans. Dans notre culture, nous avons
appris à faire le maximum pour éviter le vide et l’ennui. Le confinement contraint
remet certains d’entre nous à sa juste place car le verbe être revient au centre. Aujourd’hui beaucoup
redécouvrent les bienfaits de la méditation pleine conscience et des pratiques
d’hypnoses thérapeutiques. J’accorde une grande importance à ces exercices car ils
me renvoient à une expérience similaire lorsque je prends le temps de prier dans
le silence avec la Parole. Or, qu’est-ce que la Parole de Dieu et la prière sinon
des actions qui nous invitent à la vie ?
Dans
ce village, la vie est d’abord une expérience d’être là et la prière ici ne décolle pas du sable : elle nous
renvoie toujours à un quotidien aussi piquant que les cactus qui nous
entourent. A Ejeda où beaucoup de choses manquent pour faire plus et mieux, je
reçois cette puissance de vie qui se manifeste par la générosité et
l’hospitalité des habitants. La vie demande cette attitude d’être là pour vivre
avec. Quand Jésus dit « Je suis » il rend possible la rencontre avec
Dieu. Quand nous disons que nous vivons ensemble nous réalisons Sa volonté et
devenons chacun ce que nous sommes. Il faut une vie pour l’appliquer et trente
ans ne sont qu’un début.
Demain
La
vingtaine a fait jaillir en moi la fibre spirituelle par mon entrée et mon
engagement progressif dans la communauté « Eglise ». Je fais le vœu
(un de plus) que cette trentaine ira dans le même sens et aura une tonalité
davantage solidaire et interculturelle. Cela commence plutôt bien mais il ne
faudra pas relâcher l’effort et continuer à pratiquer cette tendance comme un
exercice humanisant. Pour cela rien de tel qu’un objectif à la mesure de mes ambitions (slogan de ma première formation
universitaire à l’IUT de Montpellier en Mesures Physiques). Je me fixe audacieusement
de passer du « je » au « nous ». Cela signifie confesser que nos
« je » sont reliés et qu’aucun « tu » ne peut faire
obstacle au désir d’habiter ensemble la maison commune qu’est la Terre. Conséquence
directe : prendre en compte l’autre sur « ce chemin qui n’existe que
par ma marche » (S. Augustin). La culture malagasy m’enseigne au quotidien
qu’un sourire a de la valeur et que la famille est un don de Dieu. Voilà de
quoi bien commencer cette nouvelle marche vers le frère.
Alors
qu’est-ce que ça fait ?
Si
vous avez réussi à lire jusqu’au bout cette page de vie, vous avez du remarquer que je n’ai pas répondu à la première question ; alors avoir trente ans qu’est-ce
que ça fait ? Si vous avez bien suivi, le verbe FAIRE ne peut se défaire de
son voisin ETRE pour que la symbiose de la VIE soit. Prenez cette courte
relecture comme un premier fruit qui vous invite à relire vos trente premières
années où à les imaginer pour les plus jeunes (nouveau défi de confinement).
Que ce soit ce 20/04/2020 à Madagascar en plein
coronavirus comme le 20/04/1990 à Montpellier à la fin de la Guerre Froide, ma
vie commence avec vous. Merci d’être de ce que que vous êtes et de continuer de
faire ce que vous faites pour que la vie soit plus belle aujourd’hui que
demain. Comme dit une hymne recueil de prière que j’ouvre chaque jour pour vous
et pour Dieu : Il suffit d’être et
vous vous entendrez...