mardi 26 mai 2020

La mort n'est pas la fin

Puisque le Coronavirus a pris toute la place et que le comptage des morts fait l'actu, je me suis demandé nous étions attentif l'invitation qui nous est faite de penser la mort, ou bien ce dark theme de fond qui fait baisser la luminosité de nos écrans portables pour faire moins mal aux yeux. 
Mais la mort est-elle un dark theme pour tout le monde ? Réduit-elle la luminosité ou bien est-elle l'ombre indispensable qui donne des limites aux effets lumineux artificiels de nos villes et de nos nuits ? 

Une série d'événements liés à la mort de certaines personnes ici et ailleurs m'ont poussé à une réflexion sur la "place" de la mort dans la vie. Est-il vraiment acceptable que celle-ci ait une juste place dans le cours de la vie ? Est-ce seulement un scandale ? Une occasion de renouveler un contact avec la vie qui nous entoure ? 

Dans nos campagnes françaises, visiter un cimetière peut faire peur. On utilise d'ailleurs ce lieu commun pour terrifier des téléspectateurs en attente de frissons. En effet, nombre de tombeaux grisonnants sont laissés à l'abandon. Leur couleur terne rejoint aussi celle de la cendre résultat des incinérations de plus en plus pratiqués (https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-funeraire/). Cela ajoute donc à la tristesse qui semble alors avoir le dernier mot.  

Au bord de mes chemins de promenades autour d'Ejeda, poussent comme des pierres vivantes des monticules bigarrées de grandeurs et de styles variables. Selon les traditions religieuses, le tombeau (fasana) sera plus ou moins petits, collectifs, nominatif, anonyme... Les chrétiens superposent une croix, les pratiquants de la religion traditionnelle des totems(alohalo) de zébus avec ou sans des cornes pour signifier la vie après la mort tandis que les familles musulmanes choisissent un mausolée plus petit et assez sobre. Assez souvent un portrait ou une image résume la vie du défunt ce qui rappelle combien la vie présente est liée à la vie d'après. Car à Madagascar quelque soit la religion il est certain que la mise en terre n'est pas la fin de la vie.




Les funérailles restent alors le cœur du sujet car c'est là que se joue l'acte de mémoire ultime qui fait comme revivre encore un instant ce que la personne a été. Chaque individu est appelé à faire de nombreux deuils plus ou moins éprouvants dans la vie. Pourtant, la routine et les activités de distractions repoussent l'échéance d'une confrontation directe avec la mort à travers le défunt, ses affaires, son histoire qui rejoint la notre. Je peux alors témoigner de l'épisode récent qui m'a conduit à partager sur la toile. 

Bebe Romaine (1) a rendu son dernier souffle à 79 ans le 14 mai dernier. Ejeda venait de perdre une personne qui faisait autorité dans le cercle catholique. J'avais eu la joie de partager avec elles quelques souvenirs de sa vie et j'ai été assez surpris de mon émotion à l'annonce de son décès. D'autant plus que la veille, je l'avais visiter un peu au hasard et qu'il se trouve qu'en m'écoutant elle avait rit. C'était un beau moment et la suite est resté coloré par cette surprenante dernière rencontre avec Bebe Romaine. 

La suite, la voici. Après avoir préparé le corps dans une pièce parfumée et décorée, les femmes entrent en pleurant si fort que cela brise le cœur de ceux qui les écoutent au dehors. La première journée passe lentement. Le soir commence alors une période plus ou moins déterminée de veille auprès du défunt. Dans les coutumes mahafaly, il est d'usage de veiller plusieurs semaines voire plusieurs mois en fonction de la notoriété de la personne dans la famille. Cela va d'une semaine à une année ! En février un roi local était décédé et on célébra une grande fête pour son enterrement au mois de mai. Pendant ce temps tous les membres de la famille élargie se rassemblent. Chaque nuit, pendant cette période, une veillée est prévue. Elle porte le nom de miari-tory (2). Tandis qu'une majorité de personnes venus visiter (mamonjy, mamangy) le défunt chante le répertoire de chant religieux et traditionnels, les hommes jouent aux dominos ou aux cartes, d'autres, venus de la campagne s'assoient simplement et attendent le lever du soleil en silence. Des femmes enfin plus proches restent au près du mort avec des couvertures et changent régulièrement l'encens qui parfume la pièce décoré par des photos et d'autres offrandes. 





Comme vous pouvez le voir sur ces images d'une de ces miari-tory, l'ambiance ne semble pas tant à la tristesse qu'à une forme de joie. Une jeune homme me donne une clef de compréhension en me chuchotant que ces nuits sont faites pour rester avec la personne et retarder le moment du deuil. C'est une manière de remercier Dieu pour ce que la personne a été dans la vie. On chante mais on ne danse pas. On peut discuter et avoir une forme de gaîté mais il ne faut pas rire trop fort. On peut boire sans être ivre. De l'extérieur cela ressemble à une veillée scoute mais ce qui se joue est bien plus grave puisque les nuits blanches qui s'enchainent disent bien que quelque chose de la vie d'avant a définitivement quitté ce monde. Pour Bebe Romaine, il faudra attendre sa fille qui a réussi à venir de Fort Dauphin à deux jours de taxi-brousse malgré les restrictions liées à l'épidémie, pour que la semaine de veillée prenne fin. 
Le miari-tory s'achève avec une veillée finale plus intense en chansons et en animations avec des annonces et des discours, notamment des remerciements. 

Quand vient le jour des funérailles comme ce fut le cas pour bebe Romaine, un cortège funéraire accompagne le tombeau jusque dans l'église pour la messe et l'absoute. On se rend au tombeau qui ce jour là venait à peine d'être terminé. On dégageait les dernières pierres et on déposa le tombeau qu'on recouvra d'imposantes pierres pour dissuader les éventuels voleurs. Le peintre finira tranquillement le portrait de la défunte sur les deux faces opposés. La famille de Bebe Romaine est entrée dans une période de deuil qui est très variable mais qui en moyenne dure 2 mois. Pas de chant, pas de danse, ni de grands repas pendant ce temps là. En fait, cela n'est plus possible car la mort d'un proche pousse la famille à faire des dépenses importantes, non que le tombeau et la cérémonie soit chère mais plutôt qu'il faille accueillir un nombre important de personnes et les nourrir tous les jours ce qui comprend aussi un grand sacrifice de bétail (chèvres et zébus surtout). 

J'ai parlé plus haut de la fête d'enterrement d'un roi local. Cette expression peut surprendre : peut-on parler de fête pour un enterrement ? Il faut comprendre ici que l'enterrement chez les mahafaly (3)(chrétiens ou non) signifie bien le passage de la vie sur terre à la patrie des ancêtres (razana). Il arrive que la personne change de nom, signe qu'elle est passé d'un état de vie à un autre. La confession de foi chrétienne n'est pas si éloignée de cette conception traditionnelle. La mort est vu comme un passage (Pâques, pascal, passage ont la même étymologie) de la vie sur terre à la vie au Ciel avec le Christ. Une différence notoire est le centre de la foi chrétienne en la résurrection des corps à la fin des temps ce qui n'est partagé par les traditions locales. Cependant ce qui reste puissant est la présence de la personne sous un autre état même après sa mort.



Voilà l'image du tombeau construit pour le roi local de la région d'Ampanihy à 50 km d'Ejeda. Il a été bâti le temps de cette longue veille de plus de trois mois. Le vert symbolise l'espérance qui est aussi présent sur le drapeau de Madagascar pour cette raison. 

Au terme de cette plongée dans l'expérience de la mort en terre mahafaly, je suis surtout marqué par la beauté et la transparence des sentiments qui ont été partagé pendant cette période. Je suis aussi profondément reconnaissant de la facilité avec laquelle j'ai était accueillis comme un hôte normal pendant ces célébrations et ces veillées. C'est vrai, je n'ai pas la même endurance pour tenir toute la nuit mais quelque chose de l'âme mahafaly est passé dans mon cœur pendant ces nuits de chants et de rencontres uniques. J'espère que ça ne me quittera jamais et que je pourrais y puiser largement dans mes futurs ministères notamment auprès des familles endeuillés pour témoigner de l'espérance chrétienne qui bouleverse les frontières entre la tristesse de la mort et la joie de la vie. 



(1) : Bebe est un diminutif qui désigne le terme assez large de "grand-mère". 

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